De la corne de pancarte au creux des mains.

Revolution

Je suis apolitique, paresseuse et désabusée. Je dois être une citoyenne rêvée pour notre gouvernement. Calme et moutonne. Je ne fais pas de bruit, vote en silence, stratégique, sans trop y croire. Génération X. Absorbée et sans avis sur rien. No future pis fuck the world. Pas de casserole. Pas de cocktail Molotov.

Octobre ’70, j’ai vu ça aller à partir de ma chaise haute. Chez nous, ça préparait la révolution en astiquant les gourdins, le joint au bec. J’ai des souvenirs de manifs, sur les épaules d’adultes qui hurlent leur mécontentement. Le rouge et le noir qui banderolent autour de moi. Je baragouine très jeune des mots comme «prolétariat», «solidarité» ou «anarchie».

Je connaissais l’Internationale aussi bien que l’air de Sesame Street. «C’est la lutte finaaaaale, groupons-nous et demaiiin, l’Inteeeernationa-a-a-a-leu, youkaïdi, aïdi, aïda, taratatata!!». Bon, je la connaissais pas toute, toute, mais les hippies me trouvaient cute quand je la chantais.

J’ai su repérer les agents de la GRC très vite. On m’envoyait sur le trottoir faire semblant de jouer à l’élastique que j’accrochais entre la clôture et le poteau électrique. Ils étaient faciles à reconnaître : une moustache et des lunettes en miroir, appuyés sur une voiture bleue. Ils ne faisaient même pas semblant de lire le journal. Ils regardaient vers chez-nous, direct. Y’en a qui prenaient des photos. Je rentrais et  je criais fièrement «Y’en a deux en face!». Et là, les grandes personnes dans ma cuisine se sauvaient par la cour arrière.

J’ai regardé ma mère faire des graffitis sur les murs. «Ni vierge, Ni putain». Je me rappelle de l’odeur du vinaigre et du poivre quand ça chiait dans les rassemblements. Je me souviens des posters du Che, du poing dans le signe de femme, du petit livre rouge. Autour de moi, tous avaient de la corne de pancarte au creux des mains. Faire la révolution, c’était normal, souhaitable, nécessaire, tant que les cochons nous gouverneront!

J’ai appris comment on s’enchaîne à une clôture avec un tuyau autour des poignets pour que ça prenne un temps fou à scier; que si ça fait un clic puis un son écho de boîte de conserve dans le téléphone,  ça veut dire que tu es sous écoute; que la pancarte, si tu prends des clous de huit pouces pour fixer le carton sur un deux par quatre, quand les bœufs arrivent, t’as juste à arracher le carton et varger.

J’ai aussi appris que faire de la prison pour tes idées fait de toi un héros, mais tu peux plus aller te baigner au States, comme avant, tant que t’auras pas le pardon de la reine beaucoup, beaucoup plus tard. J’ai appris que se rebeller comportait des dangers et des sacrifices et je me suis mise à ne pas aimer ça tant que ça, moi, la révolution.

Être fille de militants, ça voulait dire qu’il y avait beaucoup plus immense et plus important que moi. La mission avant nous. La mission avant tout. Petite, j’aurais voulu que «soulèvement» signifie «être prise à bout de bras» et non pas «À minuit, on pète les vitres à l’Hôtel de Ville.»

Mes parents ont été de toutes les luttes. Ma mère a fait avancer la cause féministe, les droits des travailleurs et travailleuses du Québec et ceux des plus démunis. Elle a été contre ci et pour ça. Une vraie, une grande.

Et moi, dès que j’ai pu ne rien faire, je l’ai fait. Je me suis sauvée dans le confort de mon nombril pour ne plus en sortir. Avec la signature d’une pétition de temps en temps et un carré de feutre sur le lapel, pour me donner bonne conscience sociale.

Aujourd’hui, mon fils est dans les rues. À chaque image à la télé de casse, de bombes lacrymogènes dans des gueules à peine pubères, d’émeute avec trame sonore jouée aux sifflets, de matraques impatientes et de foulards sur le nez,  mon cœur s’alourdit. Pas tant par inquiétude, un peu quand même, mais par repentir. Si je n’avais pas baissé les bras et les armes, fiston n’aurait pas à revendiquer autant.

Je demeure tout de même remplie d’un sentiment de  Qu’ossé ça donne?, un feeling d’impuissance devant le colossal. Parce qu’après tout, qu’est-ce qui nous manque tant que ça, hein? On est bien chez nous, si on se compare? Hein? Hein?

C’est en pensant comme ça que tu gardes un peuple tranquille : du pain et des jeux. J’ai du hockey et des chips. Et je reste sur mon cul tandis que l’austérité gruge la patte de mon sofa, de mon salaire, de ma retraite. Et l’avenir de mon gars.

Alors quoi?

Alors rien.

Je voulais simplement m’excuser à mes parents de ne pas avoir continué le combat. À mon fils, de devoir le laisser se battre pour regagner des acquis perdus.

Parce que plusieurs de ma génération n’ont pas eu envie de contester l’oppression et la corruption. Ma génération a préféré sucer son pouce en s’ennuyant de sa mère partie essayer de changer le monde.

 

20 réflexions sur “De la corne de pancarte au creux des mains.

  1. Moi non plus, je ne me sens pas coupable mais responsable. Je me demande ce qui s’est passé pour que nous en soyons arrivé-es là. Pourquoi tant de gens ne s’impliquent pas. Par contre. ce texte me donne espoir, si la génération X se rend compte de l’importance de participer, il y aura beaucoup de monde dans la rue. J’espère.

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      1. Oui en effet, mais tant qu’à entreprendre une marche, pourrions-nous s’assurer de paver derrière nous. Tsé question que si nous réussissions à reprendre les droits et libertés chèrement acquis dans les années 70, que ces avancées ne soient pas enlevées à nouveaux dans 15 ans… :S
        L’intergénérationalité sera je crois une clé pour affronter les défis qui se pointent à l’horizon, il serait bien d’apprendre les obstacles, les bons coups et les outils que nos parents ont utilisés.
        Tiens donc, nous pourrions leur demander si les manifs ça sert à quelque chose !! 😉

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  2. Québec, 2000, l’Aléna, j’étais là, j’avais amené mon père. C’est drôle, lui était trop jeune pour manifester dans les années 70, pis ses parents n’avaient pas le temps. Nous étions prisonniers du gaz, la violence des policiers était incommensurablement insensible à la réalité du moment. Je me suis promis de ne plus jamais me refoutre dans ce piège à cons !!! Mon plus vieux a 12 ans, pis quand il regarde les vidéos des manifs qui se passent en ce moment et depuis quelques années, il m’envahi de question du genre :  » Mais ils sont caves ou quoi ? Qu’est-ce que ça va changer de faire ça, à part faire chier d’autres personnes ? Est-ce qu’ils ont des solutions ? C’est quoi leur message ? Jusqu’à date, qu’est-ce que ça a changé de faire ça, au juste ?  » … Je le laisse à ses questionnements, je ne veux pas juger des milliers de gens qui se font des mollets, des cordes vocales, des dents, des griffes pis de l’endurance à grands coups de matraques, boucliers, insultes, armes de guerre pis toutes. Mais lui, il est venu avec moi dans une manif. On était une vingtaine de personnes VS une trentaine de véhicules de la SQ. Il n’a pas eu peur, même s’il sentait la tension. Nos revendications étaient claires, légitimes et soutenues avec calme et sérénité. C’Était impossible de nous obstiner sur notre légitimité, mais ils l’ont fait quand même. Ils auraient pu le faire en 15 minutes, seulement, ça a pris des mois…. Moi, si je perdais mon temps et celui de pleins de gens qui vont travailler à Mtl… Là, je me sentirais coupable. Mais je n’ai pas besoin de m’excuser à personne, parce que je les pose les actions concrètes lorsque nécessaire et lorsque j’ai le temps et l’énergie. Je fais des appels, j’organise des rencontres avec les « potentiels ennemis » pour discuter de nos divergences… Pourquoi ? Je ne crois pas en la destruction, même si oui, elle est nécessaire et inévitable. Ceux qui ont le plus fait évoluer le monde n’avaient pas le temps d’aller crier des slogans dans la rue pour affronter un faux ennemi qu’est le policier. Nous en sommes rendu, en tant que société, que les jeunes dans la police sont des enfants d’hippies qui ne souhaitaient que plus d’ordre. Mais ils sont là avec leurs carrés rouges, comme d’autres brandissent leurs drapeaux blancs… Tout ce monde a quelque chose a raconter…. Ils devraient peut-être s’écouter…

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  3. Remarquable, quel joli texte ,bien ficelé ,bien raconté. Une époque déjà si lointaine ,et pourtant si similaire. .a celle ci. Merci de brasser la cage ,car tu a parfaitement raison tu n’es pas la seule a ne pas avoir perpétué la bataille . Je n’ai pas de corne aux mains ..

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    1. Merci Guylaine. Tu sais, je ne dis pas que toute ma génération a agi comme moi. Mais, d’où je me tiens, c’est un feeling général. Puissions-nous trouver une façon de militer autre qu’en partageant des liens facebook. 😉

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    1. Mon frère, il était FlQ puis tué en 71 par un honnête citoyen de Mascouche. Alors oui, sans vouloir donner dans la sensiblerie. Ça pas donné grand chose.

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  4. La vie, c’est des hasards, pis le hasard, c’est de tomber sur ton texte aujourd’hui, alors qu’on commence à parler du poids politique de notre génération, qui devrait enfin s’exprimer à la prochaine élection fédérale. Y’a fallu attendre que les plus jeunes d’entre nous abordent la quarantaine pour qu’on existe. Pour le reste, je pense pas mal pareil. En fait, j’ai décrit ici à peu près le même constat. https://fcomfaby.wordpress.com/2014/10/13/d-comme-desenchantee/

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